La marche en montagne en tant que pratique langagière, esthétique et politique

  • Quand ? : 5 et 6 décembre 2024
    Où ? :  Espace Rabelais, Campus Saulcy, Université de Lorraine
    Salle des thèses, 2ème étage – Metz (de la gare : ligne B du Mettis direction Saulcy Université, arrêt : Saulcy).
  • Ce workshop de deux jours est le résultat d’un projet de recherche financé par la MSH Lorraine réunissant des chercheur.es et des artistes travaillant sur la marche en tant que pratique langagière, esthétique et politique.

Par rapport à une littérature foisonnante sur le sujet et grâce à la collecte de différents corpus de la part des membres du projet, notre spécificité se situe autour d’une approche multidimensionnelle de la marche éclairant les trois points suivants :

  1. la dimension langagière : nous nous intéressons aux discours (écrit, oraux, numériques) produits sur la marche de la part de collectifs militants, randonneuses.eurs mais aussi à la marche en tant que discours, narration, pratique interactionnelle et multimodale;
  2. la dimension esthétique : nous travaillons à la fois sur les œuvres ayant fait de la marche une ressource artistique  mais également sur les conduites esthétiques des randonneuses.eurs et autres usagers de la montagne. Des récits d’ascension dans la littérature aux performances dans l’art contemporain en passant par les récits ordinaires collectés in-situ, on mobilise la marche en montagne comme un registre d’actions participant à l’émergence d’expériences esthétiques profanes (ordinaires) et professionnelles (artistique);
  3.  la dimension politique : nous nous intéressons à la façon dont la marche dénaturalise et transforme la montagne en espace politique à la fois pour la revendication d’une identité nationale, du côté des mouvements d’extrême droite, ou pour l’émancipation des frontières dans les mouvements de la gauche antagoniste et radicale. Marcher contrairement à escalader permet de dépasser une approche compétitivo-capitaliste de l’agir en montagne tout en interrogeant la dichotomie marcheur sujet actif vs. montagne agent passif.

L’analyse des différents corpus et pratiques – performances, interactions audio et vidéo-enregistrées à la montagne, entretiens avec les membres de collectifs artistiques et politiques – nous amènera à dresser un bilan sur ces trois dimensions à l’œuvre, à réfléchir à leur possible imbrication afin de mettre en place une approche multidimensionnelle et interdisciplinaire croisant sciences sociales, pratiques artistiques et somatiques.

PROGRAMME

5 décembre 2024

09h30-10h : accueil des participant.es

10h-10h15 : Luca Greco – Introduction et présentation de la journée

10h15-10h45 : Luca Greco – La marche en montagne : un assemblage multi-matériel et expérientiel

10h45-11h15 : Anne Laure Vernet – S’arrêter pour voir : les photographes de paysage et la pause

11h15-11h45 : Discussion

11h45-12h15 : Manuel Houssais – Retour sur une excursion montagnarde à visée pédagogique : workshop Hautes études

12h15-12h30 : Discussion

12h30-14h30 : Pause déjeuner

14h30-16h00 : Serge Cartellier – Séance collective de la méthode Feldenkrais autour de la marche

16h00-16h30 : Ami Skånberg – Walking like Yamamba: a workshop through Japanese suriashi walking

16h30-17h00 : Discussion

19h30 : Diner en ville

6 décembre 2024

09h15-09h30 : Accueil des participant.es

09h30-10h00 : Niko Besnier – Comment ethnographier la marche dans un contexte néolibéral ?

10h00-10h30 : Antoni Collot – « Montagne de mousse : rituel festif, performativité et déconstruction des espaces au pied des Alpes »

10h30-11h00 : Discussion

11h-11h30 : Julien Thiburce – Explorer, documenter et (re)configurer les discours déambulés par la caméra

11h30-12h : Discussion et bilan

Résumé des communications

A partir d’une ethnographie multisite et multi-sémiotiques, en ligne, en face à face, en Italie et en France sur la marche en montagne en tant que pratique langagière, esthétique et politique, ma communication se penche sur la mise en discours de la marche en tant qu’assemblage multi-matériel et expérientiel. En me focalisant sur un corpus composé d’entretiens avec randonneuses.eurs, d’enregistrements vidéo de randonnées à des fins personnels, politiques et esthétiques, je proposerai une vision de la marche en tant qu’assemblage composé par une multiplicité de matérialités, verbales, non verbales, humaines, non humaines (De Landa 2016, Pennycook 2018). L’analyse de ces extraits me permettra de saisir la marche à la fois comme une rencontre avec plusieurs types d’altérités (environnementales, corporelles, historiques) et relevant d’une expérience politique et poétique (Rancière 2000, Greco 2022).

Pour cette communication, je reviendrai sur un workshop mené en septembre 2018 à destination des étudiants d’une école supérieure d’art afin d’y questionner les enjeux à la fois artistiques et pédagogiques. S’inscrivant dans cette lignée des excursions en montagne à visée éducative, cette expérience a pris la forme d’une randonnée de quatre jours en autonomie dans le parc national du Mercantour. Le groupe était constitué de quinze étudiants, un enseignant, quatre intervenants et moi-même. L’unique consigne donnée aux étudiants était de concevoir un projet dans les conditions particulières du workshop. Chaque jour et afin de nourrir leur réflexion créative, les intervenants ont proposé deux exposés. A cela s’ajoutait des moments d’échanges pendant lesquels les étudiants pouvaient présenter à tous leur projet respectif. A l’issue du workshop, une exposition des travaux des étudiants a été organisée dans l’école d’art d’Angers. En reprenant les enregistrements audio et vidéo réalisés pour documenter l’expérience, j’interrogerai le format de ce workshop afin d’en décrire les pratiques pédagogiques en jeu, leurs implicites et présupposés socio-historiques.

A partir du travail photographique de Sophie Ristelhueber et de Walter Niedermayr, on interrogera le statut de la pause dans la marche en quête d’images, au plan du suspens de la déambulation. La faveur accordée par ces artistes à la démultiplication mécanique de leurs déplacements dans les espaces de leurs prises de vue jouera paradoxalement  comme révélateur de la pause et de ses enjeux dans le déroulé immédiat des gestes photographiques. Plus encore, elle permettra d’avancer quelques questions et hypothèses sur la qualification de différentes acceptions du statut même de la marche dans la photographie de paysage, ainsi que sur leurs liens avec la pause entendue cette fois comme suspens dans un processus de création.

Pratiquer la méthode Feldenkrais : c’est faire une expérience pour soi en mouvement dans l’espace. Moshé Feldenkrais disait lui-même : une prise de conscience par le mouvement.

La méthode Feldenkrais c’est alors aller dans une recherche intime à propos de sa manière d’agir. C’est une découverte de soi ; c’est-à-dire du système complexe que nous sommes et avec lequel nous nous mouvons dans le monde.

Il s’agira, à partir d’une fonction comme la marche, de prendre le temps de sentir, de percevoir et d’écouter ses sensations, ses propres façons d’agir en les observant de manière sensible et, peut-être, de s’en proposer de nouvelles. Au cours de cette séance nous explorerons ensemble une ou deux composantes (ex. : les pieds et le regard) qui participent de la fonction de la marche. On verra comment en se proposant de varier quelques aspects de ces composantes, notre rapport à la marche, à l’espace et au monde s’en trouvent peut-être modifiés.

Moshé Feldenkrais (1904-1984) a élaboré sa méthode – aujourd’hui dite somatique – à partir des années 30 notamment lors de son séjour à Londres pendant la Seconde guerre mondiale. Ensuite, il développe et expérimente la méthode qui porte son nom en Israël pendant plusieurs années. C’est aux États-Unis, à partir des années 70, qu’il a pu diffuser les idées et les concepts qu’il avait développés et expérimentés auparavant.

p.s. : pour la pratique, il n’y a pas besoin d’une tenue spéciale, soyez juste à l’aise. Nous débuterons sans doute le travail dans une salle (imaginez d’être possiblement en chaussettes) et si le temps nous le permet – ce que je nous souhaite – nous irons aussi dans l’espace public extérieur (en chaussures – rassurez-vous !)

We will process the Japanese mythology of Yamanba – the old Mountain Crone through walking. In legends, she is an enigma: ‘she is, simultaneously, a benevolent demon, a supernatural human, and an enlightened being tormented by delusive attachments’ (Brazell, 207, 1998).

From the original Noh play by Zeami:

And then there is Yamanba:
birthplace unknown, lodgings uncertain,
wandering with clouds and streams,
no mountain depths unreachable

Yamanba as a symbol represents contradictions with regards to grief and madness. She activates thinking around the interpretation of certain societal prejudices – she who has no home must be a mad one, she who wanders alone does not belong to society, she who has no known birthplace is bound to live as an outcast. The Noh play Yamanba by Zeami processes the legend of Yamanba through Buddhist concepts: ‘a she-demon appears before our eyes; however, when right and wrong are seen as one, form itself is emptiness, and likewise’ (Brazell, 222). Through poetry, Yamanba instead appears as a being entangled with nature, thus praising concepts of non-dualism popular in medieval Japan. Yamanba is portrayed as a being who watches over the mountains and co-exists with the clouds. The words Form then is emptiness, emptiness then is form – shiki sokuze ku; ku sokuze shiki comes from the much quoted Heart Sutra.

La randonnée pédestre, selon Bourdieu, est un des plaisirs de la bourgeoisie dans la France qu’il étudiait dans les années 60 et 70 : individualiste, intellectuelle, axée sur le soin du soi, elle incorporait pour lui les idéologies des classes moyennes qui les distanciaient des autres classes sociales. Plus de cinquante ans plus tard, comment peut-on comprendre cette activité, maintenant beaucoup plus structurée, globalisée et organisée qu’elle l’était à l’époque de ces recherches sur le goût ? La présentation se focalisera sur un projet de recherche ethnographique sur les randonneurs et randonneuses qui s’intéressent aux randonnées de long trajet, en particulier la fameuse Route de Lycie au sud de la Turquie.

La soirée mousse à Ribiers, bien plus qu’un événement festif, est une configuration esthétique et sociale qui permet d’explorer des dimensions telles que l’espace, le corps et la fluidité des identités. Située au pied des Alpes, la soirée mousse se déroule dans un contexte où la montagne est omniprésente mais paradoxalement inexplorée, créant une tension entre le village et le massif. La mousse agit comme une matière instable qui redéfinit les relations sociales et les frontières corporelles, à l’instar de la marche en montagne, qui engage une dynamique de déplacement et de transformation. L’analyse convoque des concepts de performativité (Judith Butler) et de communitas (Victor Turner) pour explorer les rituels de libération collective que constitue la soirée mousse, tout en mettant en parallèle la marche en montagne comme pratique immersive qui, elle aussi, interroge les conventions sociales et les rapports de pouvoir. La montagne, bien que visible, reste inoccupée, et la mousse devient un substitut symbolique permettant une immersion sensorielle et une redéfinition des espaces transitoires. Cette communication propose de voir la soirée mousse comme une pratique déstabilisante, une micro-politique de la fête, où les corps et l’espace se redéfinissent constamment, tout en établissant des liens avec la marche en montagne comme expérience de transformation et de fusion avec l’environnement.

À partir de nombreux travaux menés dans le champ des sciences sociales, la marche constitue tout aussi bien un dispositif d’enquête (une recherche par la marche) qu’un objet épistémologique à part entière (une recherche sur la marche). Les réflexions et expérimentations en esthétique s’en sont emparées notamment pour ses vertus expérientielles et performatives : des « walkscapes » (Careri, 2008) émergent et se dessinent dans la rencontre des marcheurs et de leur environnement, interrogeant les rapports ordinaires sensibles aux espaces. Traduisant cette dimension configuratrice, l’« énonciation piétonnière » étudiée par Michel de Certeau (1990) fait le pont entre activité sociale de déambulation et activité langagière (Ostrowetsky, 1979 ; Augoyard, 1979). Prise dans un ensemble d’arts de faire au/le quotidien, la marche informe, renseigne et dit quelque chose des conduites sociales qui se font jour en situation, des formes d’attention, des déplacements et des recadrages qui s’opèrent en interaction (Goffman, 1974).  Dans une perspective des sciences du langage qui fait dialoguer l’analyse des interactions d’inspiration ethnométhodologique (Mondada, 2008) et la sémiotique des pratiques (Fontanille, 2008), ma communication consistera à mettre en regard deux terrains d’enquête des discours dans la ville et sur la ville à travers la marche : les balades urbaines guidées programmées par le musée d’Histoire de la Ville de Lyon (Thiburce, 2015-2018), une médiation culturelle où guides et publics parcourent la ville à pieds en échangeant sur une thématique donnée ; les entretiens déambulés filmés (Pink, 2006 et 2008 ; Thiburce et al., 2022), où chercheur.es et participant.es échangent sur leur rapport à l’espace urbain tout en marchant. Je me focaliserai sur les méthodologies audiovisuelles mises en œuvre pour ce qu’elles permettent d’observer, de documenter et d’analyser des pratiques langagières dans leur dimension écologique, située et incarnée.

Contact :
luca.greco@univ-lorraine