PORTRAIT DE LUCA GRECO

PROFESSEUR DE SOCIOLINGUISTIQUE
& RESPONSABLE DE L’AXE 3 DE LA MSH LORRAINE

Interview 

 

POUVEZ-VOUS VOUS PRÉSENTER PROFESSIONNELLEMENT EN QUELQUES MOTS ? VOTRE PARCOURS, VOTRE DOMAINE DE RECHERCHE, VOTRE LABO, LE LIEU OÙ VOUS ÊTES SITUÉ, VOS INTERACTIONS AVEC L’UL ET LE CNRS ?…

Je suis sociolinguiste et je suis spécialiste dans les questions ayant trait au genre, à la multimodalité et à la santé. J’ai été nommé professeur à l’Université de Lorraine en 2018 et j’ai rejoint le laboratoire CREM et l’équipe Praxitexte après avoir été maitre de conférences à l’Université de la Sorbonne Nouvelle et avoir obtenu un doctorat en sciences du langage à l’EHESS. Je m’intéresse à la façon dont le genre se construit et se déconstruit dans les textes, la parole et les corps-en-interaction et je travaille en mobilisant des méthodes ethnographiques telles que l’observation, l’entretien et l’enregistrement audio et vidéo de pratiques langagières les plus diverses : la construction discursive d’un désir de parentalité chez les couples gay et lesbiens, la constitution interactionnelle des masculinités queer dans les ateliers drag king, la fabrication multimodale du sexe dans les échographies prénatales. J’ai toujours prôné une linguistique ouverte aux sciences sociales et aux approches critiques, foncièrement interdisciplinaire. Depuis mon arrivée à l’UL, j’ai tissé des collaborations avec les équipes internes et externes au CREM, avec le pôle Biologie, Médecine et Santé grâce au montage d’un projet sur les échographies prénatales FASEP : http://crem.univ-lorraine.fr/recherche/contrats-recherche/fabrication-dun-sujet-sexue-dans-les-echographies-prenatales-enjeux

Avec le CNRS, j’ai toujours eu des liens étroits, à la fois en tant que membre interne dans les commissions de recrutement au sein de la section 74 (Sciences du langage) et grâce aux collaborations étroites, depuis de nombreuses années, avec le laboratoire UMR ICAR de Lyon, pionnier et spécialiste internationnellement reconnu dans les questions d’interaction et de multimodalité.

POURQUOI AVOIR VOULU VOUS ENGAGER EN QUALITÉ DE RESPONSABLE D’AXE AU SEIN DE LA MAISON ?

Confronté depuis toujours à l’échange avec des collègues issu.es de cadres disciplinaires, théoriques et méthodologiques divers, j’ai fait de l’interdisciplinarité assumée dans les échanges scientifiques, une boussole indispensable pour saisir la complexité que les sociétés humaines nous offrent en tant que chercheur.es des mondes contemporains. Une connaissance approfondie des études de genre et de la performance, et une formation solide dans le champ des sciences sociales me permettent de décliner, sans pour autant les effacer, les paradigmes des Studies, traversant les disciplines et se focalisant davantage sur les objets, avec celui des SHS dont l’historicité de la tradition scientifique permet la consolidation et la transmission des méthodologies analytiques avérées. Au vu de ces compétences scientifiques, et des expériences acquises en tant que rédacteur en chef de la revue Langage et Société, une revue de renom pour l’analyse du discours et la sociolinguistique dans l’espace francophone, et dans ma qualité de co-responsable de l’équipe Praxitexte au sein du CREM, j’ai voulu partager mes compétences avec l’ensemble des chercheur.es de la MSH Lorraine. Je crois que mon ouverture disciplinaire, théorique et analytique, ma curiosité intellectuelle et les capacités de dialogue acquises pendant ces années, au sein des SHS et dans le monde associatif LGBTQ et médical, pourront constituer des atouts indéniables pour endosser une telle responsabilité.

QUELLES SONT VOS ORIENTATIONS STRATÉGIQUES POUR L’AXE QUE VOUS ANIMEZ ?

L’Axe 3 se caractérise par un défi qui est lancé aux sciences humaines et sociales par les nouvelles technologies et les évolutions scientifiques questionnant à la fois les objets et les méthodes. Or, si je pose un regard sur l’actualité scientifique, je me rends compte que nous sommes face à un véritable questionnement des fondements même des disciplines au sein desquelles nous travaillons. L’idée d’une sciences humaine et sociale uniquement centrée sur l’humain et sur une séparation entre nature et culture ne peut plus rendre compte des changements importants qui se situent au niveau de l’actualité scientifique et politique.

Par exemple, il me semble que les travaux d’un certain nombre de chercheur.es en sciences sociales sur les assemblages et les réseaux entre plusieurs types d’agentivités humaines et non humaines (Latour, Tsing, Ingold…), sur une interrogation féroce de la distinction nature-culture (Descola, Haraway, Kohn…) , ainsi que la crise climatique nous amènent à interroger les fondements anthropocentriques de nos disciplines au profit d’une vision biocentrique. Dans cette perspective, les humains cessent d’occuper une place centrale en position dominante par rapport aux autres espèces vivantes. Peut-on alors encore parler de sciences « humaines » alors que nos objets deviennent de plus en plus hybrides et que les acteurs avec lesquels nous interagissons et avec lesquels nous serons de plus en plus amené.es à tisser des alliances inter-espèces dans le futur, sont aussi autres-qu’humains (flore, faune, robots, objets…) ? Après avoir connu le passage de sciences de l’Homme à sciences humaines, je pense qu’on pourrait penser davantage à une science du vivant, ou du vivre ensemble, dans une approche radicalement holistique, inter-espèces et interdisciplinaire. Un changement si radical au niveau de nos objets nous amène à repenser nos unités d’analyse, nos méthodes, et à penser à des collaborations inédites au-delà même des sciences humaines et sociales.

En dehors de ce véritable chantier, je continuerai à privilégier des recherches innovantes, originales qui prônent une vision interdisciplinaire de la science, ouverte au dialogue avec le monde social dans toute sa diversité.

QUELLE EST VOTRE ACTUALITÉ SCIENTIFIQUE ?

Je vais organiser le 2 décembre une journée d’étude « Lire et dire le fœtus » avec des littéraires, des linguistes, des spécialistes en sciences de l’information et de la communication, des sociologues, et des professionnel.les de la santé sur les modes de lisibilité et d’intelligibilité du fœtus dans les textes médicaux, les échographies prénatales et les interactions en contexte médical.

Les publications de Luca Greco sont consultables sur son site personnel :

https://univ-lorraine.academia.edu/lucagreco